Nous étions cent et plus, et nous
écoutions ces gens qui savent, ceux qui ont appris. Nous écoutions
comment ravauder ce qui le peut encore dans notre métier de peu.
J'ai ouï le compte rendu des États
Généraux... Ou comment rire de la déliquescence de ce qui fut un
artisanat viable. Il y a si longtemps.
Puis les orateurs se suivirent. Et je
compris pourquoi j'étais dans la salle et non avec eux, sur
l'estrade. Je les regardais expliciter, énumérer, dénombrer avec
aisance ce qui se passait à nos frontières. Avec un aplomb
incroyable. Sans trop se remettre en cause. D'un ton que l'on ne
pouvait remettre en cause. Ou si peu. Sauf que pour moi le compte
n'y était pas. Il y avait un manque de sérieux tangible (comment
parler du marché de l'Amérique du Sud en ne parlant que de
l'Argentine ?, comment omettre ce qui se passe en ce moment au
Brésil ? Pourquoi ne pas expliquer la façon de fonctionner des
grosses boites aux États Unis ? Leurs contrats ? Leur
marché des planches originales... voir même le Preview ou le fait
que les dédicaces soient payantes ? Comment passer sous silence
ce qui fait la spécificité d'un marché ? Jusqu'à faire dire
à un pauvre journaliste n'écoutant qu'un son de cloche que le
marché US est encore pire que le notre...).
Cette remise ne cause, je ne l'ai pas plus croisé, le lendemain matin quand il fut question des écoles de
BD. Qu'une école si prestigieuse que Saint-Luc puisse prôner
l'ouverture d'esprit en refusant tout académisme me glaça le sang.
Son représentant alla même dire qu'écrire un scénario était un
métier annexe à la création d'une BD. Il faut dire que le dédain
pour le scénario était plus que palpable. Un mépris bien appuyé.
Étonnamment, personne ne posa la question sur l'absence d'un cursus
spécialisé en écriture. Braves gens, sachez que seul un auteur
complet est digne d'éviter votre morgue. Absence aussi de remise en
cause quand leur seule idée pour éviter la crise de la BD est
d'enseigner d'autres métiers connexes (comme le dessin animé,
l'illustration... ou l'enseignement).
Un bon repas n'évita pas
de me trouver chafouin, l'après-midi, devant les éditeurs. Pas parce
qu'il y a forcément confrontation avec les éditeurs. Après tout,
si nous étions là, c'est parce que chacun de nous avait trouvé à
se faire publier. L'éditeur n'est pas un ennemi ni un mal
nécessaire. D'ailleurs , le plus gatte-poil était sans doute ce
petit indépendant qui ne payait pas ses auteurs mais qui n'offrait
que 8% de droits d'auteur d'un livre qu'il n'arrivait pas forcément
à diffuser. Lui et la représentante des éditions Dupuis se ventant
d'avoir fait un super coup marketing en demandant à un youtubeur de
devenir scénariste. « 130 000 personnes ne peuvent pas avoir
tord » m'a-t-elle lancé (oui, j'avais réussi à trouver le
micro). Pourtant, les ventes n'ont jamais fait la qualité d'un
livre. Et j'imaginais bien que l'on puisse s'enquérir de la
multiplication des livres réalisés uniquement pour faire « des
coups ». Elle ne fut pas bien plus loquace quant à
l'originalité du scénario : « effectivement, il y avait
déjà un robot rigolo dans les pages de Spirou. Mais ce n'était pas
la première fois et sans doute pas la dernière fois non plus ».
Incroyable. Les ventes faisaient
fonction de justification ultime. Pour le reste, la gène était
présente. Mais pas d'explication. Pas de solution.
Pour le marché de l'art... Le débat
était bien plus préparé. Même si le message était bien lisse :
les acheteurs aiment tous la BD. Ils achètent des madeleines qui les
replongent dans l'enfance ». Bon, il y avait la présence d'un
très gros mangeur de madeleines... avec 3000 pièces, ça faisait un
paquet bien lourd à porter ! Il fut tout de même question du
« droit de suite » et d'un pourcentage éventuel des
ventes pour le scénariste (je sais, les dessinateurs, surtout en
temps de crise, vont me tomber dessus. Mais j'ai une solution :
les dessinateurs gardent les ventes d'originaux et les scénaristes
gardent le droit d'adaptation cinématographique puisque l'on adapte
l'histoire et très peu les dessins -faut voir Valérian pour s'en
convaincre).
Et tout se termina dans un petit
fourre-tout (journalisme, festival...) avec pour apothéose un
one-man show hilarant d'Hector obalk.
Peu importe. C'était long mais pas
inutile. C'était agréable de rencontrer des gens (pas d'être dans
le même espace mais de les découvrir, d'apprendre leur histoire,
leurs goûts...). De confronter les idées. Les envies, aussi.
Peu importe les manques. Maintenant le
temps est aux solutions. Presque le temps de l'action.
Peu importe. Ça avait commencé avec
l'ancien ministre de la culture. Et on aurait pu s'en contenter. « Il
y aura un changement s'il y a une volonté politique de changement ».
c'est vrai que sur chacun des thèmes, on aurait pu passer trois jours. Petite précision, toutes les écoles invitées furent plutôt des écoles "d'art plastique", donc un cursus essentiellement scénario est sans doute un impensé. (encore que dans ma courte expérience de BD en ligne, on avait un cursus de scénario où nous avons accueilli Laurent Galandon, fermons la parenthèse). Il est vrai qu'une école spécifique de BD pourrait quand même l'envisager. Pour ce qui est de l'aspect "multi facettes des formations, c'est indispensable, ne serait-ce que parce que les étudiants sont jeunes et que bien souvent, la coloration du diplôme se fait en dernière année où certain(e)s s'oriente plus vers l'illustration, et d'autre plus vers le dessin de presse ou la BD... Historiquement Strasbourg n'a jamais été une école de "BD", plutôt une école d'images narratives qui englobe plusieurs domaines.
RépondreSupprimerJe comprends très bien que Strasbourg ne le fasse pas. En revanche, je trouve ça moins évident pour Saint Luc ou Emile Cohl qui ont assez d’ancienneté et de "réputation BD" pour élargir leurs champs d'action.
RépondreSupprimerEt puis, ça permettrait d'avoir du contenu ! ;)